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Creuse Historique des innovations socio-spatiales

Historique de l’innovation socio-spatiale en Creuse

L’innovation socio-spatiale en Creuse depuis les années 1970

Aux origines du développement rural en Creuse de 1974 à 2004

Les dynamiques actuelles d’innovations socio-spatiales en Creuse prennent racine dans les années 1970 avec la création de plusieurs associations de développement rural bénéficiant pour certaines de contrat de Pays passé avec l’État. Parmi elles, nous avons particulièrement suivi l’association de développement Haute Marche Combraille créée en 1974. Cette association collabore initialement avec les communes d’Auzances et Chénérailles. En 1999, elle s’associe avec la communauté de commune du Pays de Boussac pour élaborer un premier diagnostic territorial qui préfigurera l’association Pays Combraille en Marche qui sera reconnu officiellement le 22 décembre 2004. Ce pays regroupait jusqu’en 2017, cinq Communautés de Communes : Auzances-Bellegarde, Carrefour des Quatre Provinces, Chénérailles, Evaux-Chambon et Pays de Boussac. Le mode de gouvernance du Pays associant des élus et des représentants de la société civile pose les bases du dialogue territoriale et de la naissance d’une certaine culture du développement local faisant une place importante à la concertation. Initialement dans les années 1970-1980, le volet principal de cette association était le développement touristique. Peu à peu ses statuts ont évolué et ses actions se sont diversifiées dans le domaine de l’urbanisme rural, de l’action culturelle, de l’alimentation, de la santé, du patrimoine, des mobilités, de l’économie locale ou encore de la transition énergétique.

L’expérimentation d’approches alternatives du développement rural de 2004 à 2017

En outre, ce Pays se démarque grâce à son projet de territoire à l’horizon 2020, « conçu par et pour les habitants lors de la Fabrique des Futurs (2014) autour d’ateliers participatifs qui ont déterminé ce qui est légitime, raisonnable, mais ambitieux pour le territoire dans les années à venir. ». Par cette démarche le Pays entend s’écarter d’un type de diagnostic de territoire standard en proposant une manière de faire différente qui soit capable « de faire dialoguer un maximum de personnes, d’imaginer et de donner à voir un avenir positif partagé du territoire ».

Le type de « diagnostic standard » dont il est ici question est basé sur le modèle AFOM (atouts, faiblesses, opportunités et menaces), issu de l’analyse stratégique des entreprises, qui assimile donc un territoire à une entreprise visant exclusivement la croissance économique dans un contexte de mise en compétition des territoires prônée par la managérisation des politiques publiques.

La révision du projet de territoire 2014-2020 du Pays par la construction d’un « récit de territoire alternatif » mobilisent les méthodes du « design des politiques publiques ». Le dispositif de La Fabrique des futurs s’inscrit bien dans une filiation directe avec le développement rural tel qu’il se définissait déjà dès les années 70 en promouvant la valorisation des ressources internes et les collaborations et partenariats transversaux. Aussi, depuis une décennie le pays accompagne plus particulièrement de nombreuses innovations socio-spatiales à travers des aménagements relevant de l’urbanisme durable, de processus impliquant les habitants dans une filiation proche de l’éducation populaire en milieu rural. De nombreuses réalisations concrètes ont émergé par des dispositifs d’action singuliers : universités rurales, atelier local d’urbanisme rural, projets de circuits-courts alimentaires, workshops étudiants pluridisciplinaires « hors les murs », etc.

Carte des opérations réalisées par l’association Pays Combraille en Marche dans le cadre des dispositifs d’Atelier Local d’Urbanisme Rural (alur)

Carte des opérations réalisées par l’association Pays Combraille en Marche dans le cadre des universités rurales

Les Pays ballottés au gré des réformes territoriales successives :

Le Pays est un territoire de projet, c’est-à-dire qu’il regroupe un ensemble diversifié d’acteurs locaux (élus, agent, représentant des entreprises et des associations locales) qui collaborent autour d’un projet de développement commun. Initialement constitués sur un format associatif faisant la part belle aux entreprises et aux acteurs de la société civile dans les années 1970, ils ont eu leur heure de gloire entre 1995 et 2015 grâce à des dotations européennes, de l’État et des régions. À partir de 2015, les réformes de modernisation de l’action publique territoriale conduisent à la disparition progressive de ces structures au profit des intercommunalités et de structures de collaboration entre intercommunalités dans lesquels la société civile ne dispose plus que d’un rôle consultatif : les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR). L’implication de la société civile dans les Pays, un point fort des structures associatives des premières décénnies, est aujourd’hui encadrée de manière plus strict par son institutionnalisation sous la forme de Conseil de développement.

Le Pays en tant que structure de développement local trouve son origine dans des structures créées après la Seconde Guerre mondiale. Les Comités d’Expansion Économique officialisés en 1954 en vue de « de mettre au point le développement économique local » et composés initialement de représentant d’entreprises à l’échelon régional ou départemental associé au commissariat au plan. Ils s’inscrivent alors dans la logique de rééquilibrage des disparités en matière d’équipement et d’activités économiques du territoire français. Leurs périmètres d’action peuvent être régionaux, départementaux ou communaux.
À partir de 1970, apparaissent, en milieu rural principalement, des associations de développement qui préfigurent les Pays. Certaines de ces structures passent des contrats de Pays (défini par la DATAR) avec l’État et parfois la région et cofinancés pour certains par le Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT). Entre 1976 et 1982, 600 contrats de pays sont signés. L’objectif à l’époque est de lutter contre la désertification rurale, de faire émerger des solutions adaptées aux caractéristiques locales, et de susciter des solidarités entre les collectivités d’un même territoire.
Dans les années 1980, s’ajoutent à ces structures des comités de bassin d’emploi initiés par l’État réunissant élus locaux, entrepreneurs et salariés.
Ces différentes structures amènent deux évolutions majeures : d’une part, l’implication de nouveaux acteurs dans l’aménagement et de développement économique du territoire local, et d’autre part, la généralisation des procédures contractuelles.

Les Pays et les PNR constituent aussi une forme de reconnaissance juridique pour des actions qui s’affranchissent des limites administratives considérés comme handicapantes (Lajarge 2000).  L’émergence de ces territoires de projets est alors fortement soutenu par les niveaux nationaux, régionaux et européens (Giraut & Vanier, 1999).

À partir des années 1990, le modèle de dispositif de développement territorial associant un territoire défini, un ensemble d’acteurs hétérogènes liés par un contrat, un diagnostic associé à un projet se généralise.

  • Ces évolutions s’inscrivent en parallèle des premières lois de décentralisation, les lois Deferre de 1982 et 1983, qui consacrent l’autonomie des collectivités territoriales, la transformation des régions en collectivités territoriales et un important transfert de compétences vers les collectivités (Région, Département et communes).
  • En 1992, la loi Administration territoriale de la République crée les premiers établissements publics coopération intercommunale : communauté de communes communautés de ville.
  • En 1999, la loi relative au renforcement de la coopération intercommunale (loi Chevènement) crée les Établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre : communautés urbaines (500 000 hab. au moins),de communautés d’agglomération (50 000 hab. au moins), des communautés de communes (5 000 hab. au moins).

La Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire (LOADT) du 4 février 1995 (loi Pasqua), associe pour la première fois le terme de développement et celui d’aménagement. Les Pays en tant que territoires de projet y sont définis pour la première fois dans la réglementation française sous un format souple et ouvert : les acteurs ne sont pas précisés, le contenu du projet non plus et aucune forme juridique n’est imposée « pour favoriser des démarches ascendantes, en respectant la diversité des formes locales de coopération, tout en donnant à l’État un rôle de coordonnateur des politiques de développement local à l’échelon national »(Emmanuelle Bonerandi, 2005, Géoconfluences). Les Pays sont cofinancés par l’État à travers le Fonds national d’aménagement du territoire (FNAT).
La Loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT) du 25 juin 1999 (loi Voynet), inscrit le développement durable comme cadre de réflexion des projets de développement territoriaux à travers la mise en place d’agendas 21 locaux et précise le cadre de fonctionnement des Pays (périmètre d’étude, charte, conseil de développement, périmètre définitif et organisation juridique). Si cette loi impose des formes juridiques plus rigides (Syndicat mixte ou un Groupement d’intérêt public de développement local) pour qu’il bénéficie d’un contrat avec l’État, elle leur permet de bénéficier de financements plus importants à travers les Contrats de plan État-Région. Elle autorise en outre la coexistence sur le territoire national de Pays plus ou moins institutionnalisés : pays en projet, pays reconnus et pays contractualisés.
La Loi Urbanisme et Habitat du 2 juillet 2003, vient simplifier la procédure de constitution du pays et supprime l’obligation de structuration juridique. Elle réintroduit ainsi la possibilité d’avoir une organisation plus informelle sous des formes juridiques plus variées de la loi Pasqua.

Cette période marque le transfert progressif du pilotage du développement territorial de l’État vers les Régions puisque les contrats de Pays (1975-1986) étaient principalement passés avec l’État, tandis que ceux des années 2000-2006 (contrat de Plan État Région) sont plutôt passés avec les Régions. Toutefois, un rapport du Sénat (Quel avenir pour les pays ?, 2006) soulève plusieurs critiques sur le fonctionnement des Pays : une trop grande souplesse dans leurs format produirait une confusion des compétences avec les intercommunalités.

Un pays est un territoire de projet caractérisé par une « cohésion géographique, économique, culturelle ou sociale ; un lieu d’action collective qui fédère des communes, des groupements de communes, des organismes socioprofessionnels, des entreprises, des associations… autour d’un projet commun de développement ; un niveau privilégié de partenariat et de contractualisation qui facilite la coordination des initiatives des collectivités, de l’État et de l’Europe en faveur du développement local. »
Il peut faire l’objet d’un contrat, traduction opérationnelle du projet de territoire approuvé à travers la charte de pays. Ce contrat de pays défini des orientations notamment en matière d’aménagement durable du territoire, d’organisation des services publics et au public et de soutien à l’activité économique, à la formation, à l’insertion et à la cohésion sociale.
(source : www.territoire.gouv.fr, DATAR, 15 fév. 2011)

2017 est une année charnière pour les territoires de projet que sont les Pays en France. En effet, l’application des lois RCT (2010), MAPTAM (2014) puis NOTR (2015), impose une restructuration de ces organismes de développement local.
Initialement les Pays pouvaient prendre des formes très diverses : associations, syndicats mixtes, groupements d’intérêt public (GIP) ou plus rare des EPCI regroupés par convention.
La loi de Réforme des Collectivités territoriales (RCT) de 2010 avait abrogé le support législatif des Pays leur permettant seulement de continuer d’exister le temps de terminer les programmes en cours.
La loi de Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM) de 2014 les réintroduit, mais n’autorise plus qu’une seule forme juridique : le pôle d’équilibre territorial et rural (PETR), un syndicat mixte fermé composé uniquement d’Établissements Publics de coopération intercommunale à fiscalité propre. Seul les Pays adoptant ce type de forme juridique peuvent bénéficier de dotations de l’État et des Régions. Les acteurs socio-économiques du territoire ne sont associés aux décisions que de manière consultative à travers un Conseil de développement (créé en 1999 par la loi Voynet). Sa composition est décidée par les représentants des EPCI membres. Son rôle est strictement consultatif, car il ne prend pas part aux décisions. Il est consulté entre autres sur les principales orientations du Pôle et sur le projet de territoire. Toutefois, ces instances participatives demeurent autonomes des élus. Ils conduisent leurs travaux sur saisine de l’intercommunalité ou du territoire de projet et par auto‐saisine, sur tout sujet qui leur semble présenter un intérêt pour le territoire et ses habitants. Toutefois, la composition du Conseil de développement n’est pas légalement encadrée et imposée et relève donc de la volonté des élus qui peuvent choisir différentes modalités de désignation (parrainage, tirage au sort, appel à candidature, etc.). Le contrat de Pays devient un Contrat Territorial de Développement Rural ou Contrat de Ruralité.

Les effets de la loi Nouvelle Organisation Territoriale de la République (NOTRe) de 2015 sur certains pays découlent surtout de la modification de la carte des intercommunalités et en particulier la hausse du seuil minimal de population (il passe de 5 000 habitants à 15 000 habitants) qui implique des regroupements d’établissements intercommunaux. Certains pays ne correspondant plus aux nouveaux périmètres d’EPCI sont de ce fait dissous, d’autres faisant double emploi avec le regroupement des EPCI qui les composaient voient la gestion de leurs chartes transférées au nouvel EPCI, certains au contraire sont reconduits pour permettre la collaboration entre plusieurs EPCI plus resserrées.

Pour plus d’informations:

  • Emmanuelle Bonerandi, Les pays ont dix ans… retour sur expérience, 2005, Géoconfluences
  • Quel avenir pour les pays ?, Rapport d’information n° 430 (2005-2006) de M. Alain FOUCHÉ, fait au nom de la délégation à l’aménagement du territoire, déposé le 28 juin 2006
  • Dossier de présentation des conseils de développement par la Coordination Nationale des Conseils de Développement
  • GIRAUT, E ; VANIER, M. (1999): Plaidoyer pour la complexité territoriale. In : GERBAUX, F: (Dir.).- Utopie pour le territoire : cohérence ou complexité ? La Tour d’Aigues, Ed. de l’Aube, pp. 143-172.
  • LAJARGE, R. (2000).- Les territoires aux risques des projets. Les montagnes entre Parcs et pays. In : GERBAUX, F. ; GIRAUT, F. (Dirs.).. L’innovation territoriale. Références, formes et enjeux. Revue de Géographie Alpi- ne, n » 1, pp. 45-59.

2017, une année charnière de « destruction créatrice » et de recomposition de l’ingénierie territoriale

Toutefois, en 2017, malgré la reconnaissance de l’exemplarité des actions menées par le Pays à l’extérieur du territoire, des divergences entre les différentes parties prenantes du pays concernant son rôle et sa pertinence dans un contexte de recomposition des intercommunalités aboutissent à sa dissolution en octobre 2017 (Interview de la Présidente de l’Association dans La Montagne le 26 octobre 2017). Les élus lui substituent un syndicat mixte fermé, dont la gouvernance est exclusivement assurée par des élus locaux : les acteurs de la société civile en sont exclus et les agents salariés de la structure ayant un profil d’agent de développement sont licenciés. Dans le même temps, le territoire voit aussi disparaître le Pays Ouest Creuse et le Pays de Guéret du fait de la recomposition des Intercommunalités induite par la loi NOTRe (2015). Les actions gérées par le Pays de Guéret à travers sa charte sont transférées et réparties entre les deux EPCI qui le composait : La Communauté d’Agglomération Grand Guéret et la Communauté de communes Porte de la Creuse en Marche. Quant à celles du Pays Ouest Creuse, elles sont intégrées dans la nouvelle intercommunalité Monts et Vallées Ouest Creuse qui sera dissoute par le tribunal administratif de Limoges le 31 décembre 2019. Cette éphémère Epci avait épousé le périmètre du Pays Ouest Creuse et se composait de trois communautés de communes du Pays Dunois, Sostranien, et de Bénévent-Grand-Bourg. Seul le Pays sud Creusois demeure aujourd’hui encore actif.

Une partie des agents choisissent de quitter ces nouvelles structures intercommunales et entament alors des reconversions professionnelles sur le territoire même en profitant des compétences acquises et du réseau professionnel et associatif qu’ils ont constitué et accompagné. Si certains changent de voix pour devenir par exemple enseignant ou d’autres quittent le territoire pour d’autres fonctions dans des collectivités publiques voisines, un bon nombre d’entre eux choisissent de rester sur le territoire et créent des bureaux d’études, s’investissent dans des associations locales ou participent à la création de tiers-lieux. Ils constituent aujourd’hui des membres actifs de « communautés de pratique » fédérés autour de formes particulières d’action de développement territorial que nous qualifions – à ce stade de notre recherche – d’apprenante. Une forme d’action relationnelle, situationnelle et expérientielle.

Les effets de la loi NOTRe sur le territoire Creusois

Le département de la Creuse, un territoire-laboratoire d’innovation de l’hyper-ruralité ?

Toujours en 2017, en parallèle de ce mouvement de recomposition territoriale, le département de la Creuse est mis en avant dans l’agenda gouvernemental. Sur fond de fermeture de l’usine GM&S à la Souterraine et de crise médiatique, le Président de la République propose à une délégation d’élus creusois de « mettre en œuvre un laboratoire d’innovation de l’hyper-ruralité avec l’objectif, pour l’État, d’expérimenter des solutions applicables à l’ensemble des territoires hyper-ruraux afin de créer, booster, faire du développement local ». Le Conseil Départemental de la Creuse remettra alors deux contributions à la préfecture dont certaines des propositions seront intégrées quelques mois plus tard dans le « Plan particulier pour la Creuse » qui sera signé par le Premier ministre le 5 avril 2019 lors d’un déplacement sur place. Est alloué à ce plan un financement de 80 millions d’euros pour développer les 118 projets qui y sont consignés.

Fort de ce « coup de projecteur » politique et médiatique sur le département de la creuse, des expériences portées par le Pays Combraille en Marche, de la recomposition d’une partie de l’ingénierie territoriale et de moyens financiers dédiés (candidature en consortium HAPPI MONTANA), le Conseil départemental de la Creuse lance en 2018 trois missions d’accompagnement de projet par les méthodes du design des politiques publiques et d’innovations par les usages. La mission de préfiguration du laboratoire d’innovation du département de la Creuse constitue le cas d’étude principal de nos observations et travaux de recherche conduits dans le cadre de MARGINOV.

Les missions de « design des politiques publiques » sur le territoire de la Creuse par institutions