Les territoires-laboratoires

Les territoires-laboratoires

Les recherches au sein du programme Marginov se déroulent sur la base de la mise en perspective d’études de cas conduites dans différents territoires et sites de la région Nouvelle-Aquitaine. Ces territoires sont considérés comme des laboratoires sur lesquels sont conduites parallèlement des expériences pédagogiques et de recherche permettant de croiser sur un terrain commun des savoirs et des savoir-faire. Pour cela, l’équipe de recherche a mis en place des partenariats avec des collectivités locales et avec des acteurs du monde socio-économique œuvrant dans ces territoires. Ce choix permet de croiser et de confronter les outils, les méthodes et les démarches des chercheurs, des acteurs et des concepteurs. Il offre un cadre favorable à la fois à l’engagement et à la distance critique. De ce fait, le choix de ses territoires-laboratoire relève de raisons tant pragmatiques que scientifiques.

  • Sur un plan pratique, cette recherche s’appuyant souvent sur des partenariats institutionnels, nous avons privilégié les territoires dans lesquels nous avons noué des relations anciennes avec des collectivités locales à travers les activité pédagogiques de l’ENSAP Bordeaux, et les travaux de recherche de l’UMR Passages.
  • Sur un plan scientifique, chacun de ces territoires illustre des aspects variés de ce que peut-être la marge territoriale.

Une approche positive de la marge

Les territoires auxquelles nous nous intéressons se situaient, jusqu’il y a peu, en marge des préoccupations dominantes des politiques publiques en termes d’aménagement du territoire. Pendant de longues années, ils sont restés à l’écart des recherches scientifiques et de la pensée dominante de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire, concentrée sur les problématiques de la ville, de la métropole et de la question du périurbain. Il s’agit d’espaces méconnus, peu considérés, voire méprisés, encore trop peu étudiés et véritablement appréhendés dans toute leur complexité.

Le terme de marge dans le langage courant véhicule une vision négative liée à l’idée de marginalité sociale associée à la pauvreté, la déviance, la fragilité ou l’isolement. Or, telle qu’elle est conçue dans le projet Marginov, la marge territoriale est considéré comme un élément positif en matière de de développement local. En effet, les territoires de marges bénéficient de l’atténuation des contraintes imposées par les grands pôles économiques et politiques comme les métropoles régionales ou les chefs lieux de communauté d’agglomération. S’y développent « des formes nouvelles de cohérence locale construites sur des solidarités qui transcendent les limites administratives souvent poreuses » (Antheaume & Giraut, 2002, p. 54). Par conséquent, une marge dispose d’une certaine autonomie de décision et d’une marge de manœuvre que ne connaissent pas les périphéries, qu’elles soient intégrées ou délaissées, subordonnées aux décisions de leur centre. Ainsi, la marginalité territoriale suppose-t-elle tout à la fois une réelle cohérence interne et une certaine indépendance vis-à-vis des centres urbains de décision. Ces territoires n’étant pas toujours nécessaire au bon fonctionnement du système territorial dominant, ils sont en quelque sorte livrés à eux-mêmes et relativement invisibles. Cette marge de liberté en fait des territoires susceptibles d’accueillir des formes d’innovations socio-spatiales.

Une acceptation positive de la marge territoriale consisterait donc à la définir de la façon suivante :
il s’agit d’un territoire de taille diverse (d’une partie de commune à un département en entier) dans le cadre duquel les habitants prennent conscience de leurs propres forces et tirent profit de leur autonomie pour renouveler les façons d’agir.

Si l’on observe le territoire régional à travers le prisme de la métropolisation, ces territoires sont peu visibles, car à l’écart à la dynamique des grands réseaux et des systèmes de ville globalisés (Ascher, 1995). En ce sens, les pôles de décision et les discours dominants proposent le plus souvent une lecture appauvrie et caricaturale de ces territoires les présentant comme fragiles, peu dynamique, atone ou en déclin (Depraz, 2017). Ces éléments de langage sont particulièrement présents dans les diagnostics territoriaux. Ces discours stigmatisant sont réactivés ponctuellement lors d’interventions médiatisées de l’État qui font écran aux évolutions vives et aux expérimentations qui s’y déploient silencieusement. En conséquence, nous choisissons d’analyser ces territoires pour eux-mêmes, comme un sous-système à part entière entretenant des relations de voisinage avec les territoires externes et relativement épargnées par les relations hiérarchiques qu’implique le système centre-périphérie (Depraz, 2017). Considérés de cette manière, les territoires en marge peuvent constituer non seulement des révélateurs du rapport d’une société à ses ressources et à ses environnement, mais aussi des lieux incubateurs de solutions alternatives pour renouveler les pratiques en matière d’aménagement et de développement local des territoires, de gestion des environnements et de préservation des patrimoines bâti et paysager.

La Nouvelle-Aquitaine vue au travers du prisme de la métropolisation

Bibliographie :

  • Antheaume, B. & Giraut, F., (2002), Les marges au cœur de l’innovation territoriale?: regards croisés sur les confins administratifs (Afrique du Sud, France, Maroc, Niger, Togo …), Historiens et Géographes, n°379, p. 39-58.
  • Ascher, F., (1995), Métapolis ou L’avenir des villes, Éditions Odile Jacob, Paris, France, 345; iv p.
  • Depraz, S., (2017), Penser les marges en France : l’exemple des territoires de « l’hyper-ruralité », Bulletin de l’Association de géographes français, vol. 94, n°3, p. 385-399.
  • Magnaghi, A., Raiola, M. & Petita, A., (2003), Le projet local, Mardaga, Sprimont (Belgique), Belgique, 123 p.

La diversité des situations de marge analysées

La marge suggère une certaine indépendance politique et une autonomie économique par rapport aux pôles territoriaux. Ces processus peuvent se lire à différentes échelles : certains quartiers d’une métropole par leur isolement et leur dynamique sociale locale peuvent être considéré comme des marges plutôt que des périphéries, tout comme certaines collectives territoriales situés au sein d’un Département ou d’une Région. Pour rendre compte d’un panel varié de situations et d’expériences, les territoires-laboratoires sélectionnés dans le programme MARGINOV présentent des situations variables qui illustrent la diversité des formes de marges territoriales que l’on peut rencontrer en Nouvelle-Aquitaine.

Les marges situées dans les confins régionaux

Avec l’élargissement du périmètre régional, certains territoires semblent particulièrement éloignés de l’influence de la métropole régionale et développent en parallèle des relations privilégiées avec les territoires limitrophes :

  • Les collectivités territoriales de Creuse et certains collectifs professionnels creusois travaillant dans le développement territorial sont très impliqués dans des collaborations à l’échelle du massif central à travers l’association de développement territoriale MACEO et le GIP Massif Central.
  • Les organisations agricoles du Pays basque intérieur nouent des relations privilégiées avec, de l’autre côté de la frontière franco-espagnole l’Euskadi, la Communauté autonome du Pays basque, qui participe au même titre que la région Nouvelle Aquitaine au financement de l’association Euskal Herriko Laborantza Ganbara, la « chambre d’agriculture basque » côté français.

Les Marges d’arrière-pays

Certains territoires-laboratoires étudiés dans le cadre du projet MARGINOV forment des sortes d’arrière-pays à des pôles urbains, là où dont l’influence métropolitaine est atténuée et où les relations transgressant les frontières départementales sont plus faciles à nouer.

  • La Haute Gironde subit peu la périurbanisation bordelaise et historiquement sa population entretient des relations privilégiées avec la Charente-Maritime.
  • La Grande Lande se situe à l’intersection du département de la Gironde et de celui des Landes en marge des influences des grandes aires urbaines et des dynamiques du tourisme littoral. Les collectivités territoriales de la Grande Lande sont en particulier impliquées dans le PNR des Landes de Gascogne qui chevauche les deux départements.
  • Le Médoc forme une presqu’île relativement épargnée par la périurbanisation bordelaise malgré la proximité géographique, tout en intégrant des périphéries touristiques attractives sur sa frange littorale.
  • Le Pays basque intérieur, s’il se situe aux confins de la région Nouvelle-Aquitaine, constitue également un arrière-pays de l’agglomération urbano-balnéaire formée par Bayonne, Anglet et Biarritz (B.A.B.).

Les marges d’interstices

Certains territoires-laboratoires de MARGINOV sont plus directement situés dans des interstices au sein de pôles urbains. Il s’agit là d’aborder des fragments de territoires qui échappent à une définition évidente de marge territoriale seulement fondée sur la distance aux centres et sur l’atténuation des contraintes qu’ils imposent. Cela nécessite de zoomer sur les territoires pour identifier des marges plus étroites. Ainsi, la présence de lieux emblématiques vers lesquels se focalise l’attention politique et les investissements laissent dans l’ombre certains lieux et territoires qui en profitent pour agir d’une manière alternative.

  • Les quatre communes de la rive droite de la métropole de Bordeaux réunies en Groupement d’intérêt public (Bassens, Lormont, Cenon, Floirac) développent des projets spécifiques et relativement autonomes au sein de l’aire métropolitaine.
  • Une large part des espaces publics du centre-ville de Pau sont relativement délaissés, car l’attention et la vie urbaine sont polarisées par les grandes places monumentales et les rues commerçantes.